
L'athlète sud-africaine Caster Semenya parle aux journalistes après une audience devant la Cour européenne des droits de l'homme, le 15 mai 2024 à Strasbourg ( AFP / Frederick FLORIN )
La Sud-africaine Caster Semenya a salué jeudi "un résultat positif" dans la décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a reconnu qu'elle n'avait pas eu droit à un procès équitable sans toutefois trancher la question centrale du traitement hormonal imposé à cette athlète hyperandrogène.
Si elle a condamné la Suisse pour violation du droit à un procès équitable, la Cour a en revanche déclaré irrecevables les griefs de Caster Semenya qui s'estimait victime de discrimination.
La Grande chambre, sorte d'instance d'appel de la CEDH, estime en effet que l'athlète de 34 ans ne relevait pas de la juridiction de la Suisse en ce qui concerne ce grief.
La Sud-Africaine a néanmoins salué un "résultat positif", qui rappelle qu'il faut "protéger les athlètes".
- "Combat pas terminé"-
"Le combat n'est pas terminé", "tant qu'il y a de l'injustice, nous nous battrons", a prévenu l'athlète intersexe, présente à Strasbourg aux côtés de ses avocats qui vont maintenant examiner les suites éventuelles.
De son côté, le ministère de la Justice helvète souligne que "la condamnation de la Suisse se limite à un seul point: le Tribunal fédéral aurait dû examiner plus en détail l'arrêt rendu par le Tribunal arbitral du sport".
L'Office fédéral de la justice (OFJ), qui représente le Gouvernement suisse devant la Cour, "va maintenant analyser en détail les motifs de l'arrêt et discuter des prochaines étapes avec les entités concernées".
Dans son arrêt de Grande chambre, la CEDH a rappelé que le respect du droit à un procès équitable, protégé par la Convention européenne des droits de l'homme, "exigeait un examen particulièrement rigoureux de sa cause".

Caster Semenya regarde son temps à l'issue d'une course de 5000 mètres, le 9 juin 2022 à Saint-Pierre, sur l'île Maurice ( AFP / Fabien Dubessay )
Or la cour a estimé que cela n'a pas été le cas de l'examen opéré par le tribunal fédéral suisse saisi par Caster Semenya pour contester la sentence du TAS, qui est basé à Lausanne.
La Suisse doit verser à Caster Semenya 80.000 euros pour frais et dépens.
"La Grande Chambre n'est pas allée assez loin pour reconnaître toutes les violations dans cette affaire", estime Seema Patel, experte en droit du sport et en discrimination liée au genre à la Nottingham Law School, "mais il y a au moins eu un avertissement pour le monde sportif que les droits de la Convention doivent être respectés".
- "Grand jour" -
"Le jugement rendu aujourd'hui par la Cour confirme qu'à l'avenir, les athlètes et les sportifs ont droit à un examen rigoureux des affaires qui mettent en jeu leurs droits fondamentaux. Leur protection est essentielle. C'est un grand jour pour le sport et pour les athlètes du monde entier", a commenté Schona Jolly, avocate de Caster Semenya.
Double championne olympique (2012, 2016) et triple championne du monde (2009, 2011, 2017), la Sud-Africaine produit naturellement beaucoup d'hormones mâles (androgènes), susceptibles d'accroître la masse musculaire et d'améliorer les performances.
Depuis 2018, World Athletics, la fédération internationale d'athlétisme, impose aux athlètes hyperandrogènes de faire baisser leur taux de testostérone par un traitement hormonal pour participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine. Ce que refuse Caster Semenya, privée ainsi de s'aligner en compétition sur sa distance fétiche.
Le ministère sud-africain des Sports "continuera à travailler (...) pour obtenir justice par tous les moyens disponibles, y compris au sein des structures de World Athletics", "tant que la lutte pour (tes) droits corporels se poursuit", a-t-il indiqué dans un communiqué.
Pour Antoine Duval, chercheur en droit international du sport à la Haye, l'arrêt constitue "un encouragement aux athlètes intersexes qui sont affectés par ces règles à porter l'affaire devant le TAS et à relancer le débat".

Caster Semenya (2e en partant de la gauche) entourée de ses avocats Gregory Nott (2e en partant de la droite) et Patrick Brancher (au centre), de la présidente de la Commission pour l'égalité des genres Nthabiseng Sepanya-Mogale (à gauche) et du directeur national de l'organisation ProBono.Org, Mohamed Shafie Ameermia (à droite), le 9 février 2024 à Johannesburg ( AFP / Phill Magakoe )
Révélée au grand public aux Mondiaux de 2009 à Berlin, Caster Semenya y avait remporté la médaille d'or du 800 m mais son apparence physique et sa voix grave avaient suscité débats et spéculations.
L'athlète avait été interdite de compétition pendant onze mois et contrainte de subir des tests médicaux aux résultats restés secrets, avant d'être autorisée de nouveau à courir en juillet 2010.
Mais en 2018, le règlement de World Athletics a changé la donne.
Ce règlement a été validé l'année suivante par le Tribunal arbitral du sport, basé en Suisse, puis confirmé par le Tribunal fédéral de Lausanne.
Les recours de l'athlète sud-africaine contre ces deux décisions ont été rejetés mais elle a obtenu gain de cause devant la CEDH le 11 juillet 2023. La cour avait estimé qu'elle avait été victime de discrimination et d'une violation de sa vie privée.
Cependant, les autorités helvètes, appuyées par World Athletics, avaient saisi la Grande chambre de la CEDH, qui s'est prononcée jeudi et dont les décisions sont définitives.
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