
Des ouvriers construisent une bibliothèque, une salle de conférence et une salle de sport pour les femmes, financées par les contributions des travailleurs migrants kirghizes à l'étranger, dans le village de Kyzyl-Jol, le 21 mai 2025 au Kirghizstan ( AFP / Guliza Urustambek kyzy )
"Avant, les enfants jouaient dans la poussière. Maintenant on a un gymnase et du gazon", se félicite Abazbek Abdinabiev, prof de sport au Kirghizstan. Des installations construites avec l'argent envoyé par les migrants travaillant en Russie, manne indispensable aux pays d'Asie centrale qui atteint des records.
"La contribution des migrants a été énorme. Malgré l'éloignement, tous ont contribué à ce que leurs enfants en bénéficient", raconte à l'AFP M. Abdinabiev dans la région de Batken (sud), particulièrement concernée par l'émigration.
Non loin, Nour Akmatov supervise le chantier d'un bâtiment "construit avec l'argent récolté par les migrants et les villageois", qui accueillera une bibliothèque, ainsi qu'une salle de conférence et une salle de sport réservée aux femmes.
"Quand je travaillais à Moscou, je mettais trois euros par mois" dans cette caisse commune, explique le trentenaire, qui estime à 1.500 le nombre de migrants de son village y cotisant.
Car l'argent gagné par les migrants centrasiatiques est vital pour leurs familles, avec des salaires moyens équivalant à 220 euros au Tadjikistan, 400 au Kirghizstan et 450 en Ouzbékistan.

Des ouvriers asphaltent une route dans le village de Mehrobod, un projet de développement financé par des migrants tadjiks à l'étranger, le 25 mai 2025 au Tadjikistan ( AFP / STRINGER )
Ces envois représentent près de la moitié du PIB tadjik, record du monde, environ un quart du PIB kirghiz et 14% du PIB ouzbek, selon la Banque mondiale.
Leur augmentation en 2024 -- à un total de 5,8 milliards de dollars au Tadjikistan, 3 milliards au Kirghizstan et 14,8 milliards en Ouzbékistan -- s'explique par la dépréciation des monnaies locales face au rouble, mais aussi par la hausse des salaires en Russie causée par la guerre en Ukraine. La pénurie de main d'oeuvre est en grande partie comblée par les migrants.
Sans leurs transferts, le taux de pauvreté passerait de 29% à 41% au Kirghizstan, d'après les statistiques nationales.
- "Embellir le pays" -
Car l'argent sert aussi à construire des infrastructures quand l'Etat n'en a pas les moyens, via des systèmes d'entraide très présents dans les sociétés centrasiatiques.

Un ouvrier asphalte une route dans le village de Mehrobod, un projet de développement financé par des migrants tadjiks à l'étranger, le 25 mai 2025 au Tadjikistan ( AFP / STRINGER )
Le principe est partout le même: les migrants et les villageois cotisent pour réunir les fonds, parfois complétés par des financements étatiques.
A Mehrobod, (nord du Tadjikistan), une bannière du gouvernement tendue au-dessus de la route rappelle qu'"embellir le pays est le devoir de chaque citoyen".
"Chaque district s'efforce de résoudre les problèmes par ses propres moyens: pour que nos enfants aillent à l'école, que les rues soient propres et bien entretenues", résume le villageois Abdoukakhor Madjidov.
Autour de lui, des ouvriers aplanissent le sol avant de goudronner, après la construction d'une école et d'un pont l'an passé.
"Une personne collecte des fonds auprès des habitants, par exemple pour paver les rues. Dès qu'une rue est remise en état, on passe à la suivante", explique M. Madjidov, chargé de récolter l'argent.

Des enfants jouent dans une nouvelle salle de sport, construite grâce au financement des émigrants kirghizes à l'étranger, dans le village de Kyzyl-Jol, le 21 mai 2025 au Kirghizstan ( AFP / Guliza Urustambek kyzy )
Mais la Russie a perdu de son attrait depuis son offensive en Ukraine lancée en 2022. Si les migrants n'ont jamais envoyé autant d'argent chez eux, ils n'ont jamais été aussi nombreux à la quitter.
Nombre d'ex-migrants interrogés par l'AFP disent espérer ne plus retourner en Russie. Ils évoquent la multiplication des contrôles violents et humiliants ou la crainte d'être envoyés en Ukraine, comme 20.000 d'entre eux naturalisés russes déjà "sur le front", selon Moscou.
"J'ai été expulsé de Russie après y avoir travaillé huit ans", raconte Kadyrbek Tachimbekov, orientant le grutier pour saisir les poutres destinées à la construction du centre, à Batken.
Le jeune homme de 29 ans fait partie des quelque 300.000 Kirghiz rentrés, de gré ou de force, entre 2023 et 2024, soit près de la moitié du contingent kirghiz.
- "Moins d'immigration" -
Des lois signées par le président russe Vladimir Poutine facilitent la localisation et l'expulsion des migrants après l'attentat de la salle de concert Crocus à Moscou en mars 2024 et l'arrestation de suspects centrasiatiques.

L'enseignant Nur Akmatov, ancien migrant en Russie, supervise le projet de construction d'une bibliothèque, d'une salle de conférence et d'une salle de sport pour les femmes, financées par les contributions des travailleurs migrants kirghizes à l'étranger, dans le village de Kyzyl-Jol, le 21 mai 2025 au Kirghizstan ( AFP / Guliza Urustambek kyzy )
Ces traitements font réagir les autorités d'Asie centrale, pourtant alliées de Moscou.
Le dirigeant tadjik Emomali Rakhmon s'est inquiété des "centaines de cercueils rapatriés" de ceux partis "gagner du pain pour leur famille", sans étayer sa pensée, entre les Tadjiks décédés dans des accidents du travail, sur la route pour relier la Russie, ou en Ukraine.
Quant à son homologue kirghiz Sadyr Japarov, le retour des migrants est l'un des piliers de sa politique.
"Au Kirghizstan, la situation s'est améliorée, les salaires aussi", assurent Abazbek, Nour et Kadyrbek, les trois ex-migrants ne souhaitant plus retourner en Russie.
Avec l'espoir que leurs compatriotes ne soient bientôt plus obligés de s'exiler.
"On espère qu'avec cet espace culturel et sportif, les gens se cultiveront, se formeront", explique Nour. "Et peut-être qu'il y aura moins d'émigration".
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