
L'Assemblée nationale à Paris
Des sénateurs ont appelé mardi à un "choc" pour faire la transparence et évaluer les aides publiques reçues par les grandes entreprises françaises et leurs sous-traitants.
Les sénateurs Olivier Rietmann (Les Républicains) et Fabien Gay (Parti communiste français) présentaient mardi les conclusions du rapport auquel a abouti la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, commission dont ils étaient respectivement président et rapporteur.
La commission a évalué à 211 milliards d'euros les aides publiques reçues par des entreprises de toute taille en France en 2023, par le biais de 2.252 dispositifs différents.
"Pour la première fois, nous donnons un chiffre objectivé" sur le montant annuel d'aides publiques aux entreprises en France, s'est réjoui Fabien Gay.
"Pour la première fois, les parlementaires et l'ensemble du public peut dire que l'un des premiers budgets de l'Etat, c'est les aides publiques" aux entreprises, a poursuivi le rapporteur.
"Ce qui nous a stupéfait, (...) c'est qu'il n'existe aujourd'hui aucune définition précise des aides publiques, qu'il n'y a quasi aucun tableau de suivi et d'évaluation, qu'il existe 2.252 dispositifs d'aide d'Etat [...], et qu'en réalité il n'y a aucun tableau centralisateur, donc l'administration a été incapable de nous dire combien elle donnait à qui, et à quoi cela servait", a regretté le sénateur communiste au début de sa présentation.
La commission propose donc de rendre transparentes les aides, de mieux évaluer et encadrer leur utilisation à travers 26 recommandations, regroupées en quatre parties.
Fabien Gay a énoncé ces parties : la première, "un "choc de transparence", puis la deuxième, "un choc de rationalisation", la troisième, "qui est pour [lui] le coeur du rapport", "un choc de responsabilisation" et enfin "un dernier choc d'évaluation".
Parmi les principales recommandations, les sénateurs demandent qu'en cas de délocalisation, l'entreprise concernée rembourse l'aide publique reçue sur les deux dernières années, comme l'a résumé Fabien Gay.
La commission propose aussi d'interdire l'octroi d'aides publiques à des entreprises condamnées de manière définitive pour des infractions graves, et qui ne publient pas leurs comptes, ou encore d'exclure les aides publiques du périmètre du résultat distribuable, à l'exception des exonérations et allègements de cotisations sociales.
"On n'a pas noté que certaines entreprises, et pardonnez-moi l'expression, mais se goinfrent", a nuancé Olivier Rietmann, affirmant qu'il n'y avait pas de "jugement de valeur" sur ces 211 milliards d'euros : "il n'est pas question de dire que 200 milliards c'est beaucoup trop ou c'est pas assez".
Le sénateur LR a comparé les aides publiques en France à celles aux Etats-Unis ou en Chine, et a estimé qu'on "ne peut pas dire que la France soit un pays (...) qui soutient plus que les autres" ses entreprises.
"DANS LES CHOUX"
Le président de la commission a toutefois noté qu'il y avait "un vrai sujet de l'évaluation" et de savoir "si chaque euro alloué à l'aide aux entreprises [...] est efficace".
"Au niveau évaluation des dispositifs [d'aides], on est dans les choux", a-t-il déclaré, regrettant le manque de vision globale menant selon lui à l'addition de ces 2.252 dispositifs d'aides différents.
La commission, qui avait lancé ses travaux en janvier, a auditionné une trentaine de dirigeants d'entreprises françaises, dont le PDG du géant du luxe LVMH, Bernard Arnault, ou celui du groupe pétrolier et gazier TotalEnergies, Patrick Pouyanné, lors d'échanges parfois vifs et tendus.
Elle a également interrogé des élus locaux, des hauts fonctionnaires ou encore des représentants de syndicats.
Le but de la commission était d'établir le "coût global des aides publiques dont bénéficient les grandes entreprises", d'identifier la manière dont leur utilisation est contrôlée, et de questionner leur efficacité.
"Il y a une idée qui est majoritaire dans le pays, c'est qu'on ne peut pas licencier, verser des dividendes et en même temps toucher des aides publiques", avait déclaré Fabien Gay à Reuters avant le début des travaux de la Commission, en décembre.
Plusieurs des entreprises dont des dirigeants ont été interrogés ont annoncé des plans de suppression d'emploi ou de réductions d'effectifs ces derniers mois, à l'instar de LVMH en mai, du fabriquant de semi-conducteurs franco-italien STMicroelectronics en avril, ou encore du constructeur automobile Stellantis, franco-italien aussi, dès fin 2024.
"Personne ne sait en réalité combien il y a d'argent public donné aux entreprises", estimait le sénateur Fabien Gay en décembre.
Lors de la présentation mardi, Olivier Rietmann et Fabien Gay ont par ailleurs tous deux regretté le refus de l'ancien président François Hollande d'être entendu par la commission, qu'ils auraient aimé questionner sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), créé sous sa présidence en 2012 puis supprimé et remplacé en 2019 par un allégement de cotisations patronales.
"Ce refus que d'aucuns pourraient qualifier d'esquive, voire de dérobade, est fort regrettable", a déclaré Olivier Rietmann, son collègue Fabien Gay qualifiant plus tard le CICE de "fiasco" avec "120 milliards d'euros" "donnés sur 6 ans" et "100.000 emplois créés alors qu'il y avait 1 million d'emplois annoncés".
(Reportage Florence Loève, édité par Kate Entringer)
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